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Publié par Tonino D'Arcangelo

Malgré le flou que peut contenir une vie, il y aura toujours quelque chose d'esthétiquement beau à percevoir. Tout dépendra du regard que vous poserez !

Malgré le flou que peut contenir une vie, il y aura toujours quelque chose d'esthétiquement beau à percevoir. Tout dépendra du regard que vous poserez !

Avons-nous conscience de l'importance du regard dans nos vies ? Quand je parle du regard, ici, je ne vous parle pas de la vision, de la vue, mais du regard en tant que "l'attention portée sur autrui".

Je me souviens qu'en tant qu'ainé de la famille, lorsque ma mère devait partir faire une course et que l'on devait rester seul à la maison, elle me disait : "Peux tu jeter un oeil sur tes soeurs et ton petit frère ? Je reviens vite, je n'en n'ai pas pour longtemps !" Jeter un oeil, c'était avoir un regard sur ce qu'il se passait. Cela signifiait avoir une oreille attentive pour s'assurer que tout se passait au mieux pendant son absence. Jeter un oeil signifie donc avoir une attention particulière portée sur l'autre.

Les études psychologiques ont démontré combien le regard des parents est fondateur pour que le bébé puisse évoluer positivement dans sa croissance physique comme psychique. Selma Fraiberg1 qui a eu une expérience préalable auprès d'enfants aveugles, dit à propos du regard :  " ... le bébé aveugle perçoit parfaitement le "regard" de sa mère, à travers d'autres voies, telles que le toucher, l'ouïe." Nous voyons bien que lorsque nous parlons du regard, nous devons nous éloigner de l'idée de voir, de regarder, d'observer avec les yeux. Nous percevons bien que l'attention portée à autrui est bien plus  que simplement voir et observer par la vue.

Nous grandissons au travers du regard des autres. Nous avons eu besoin de cette attention particulière pour grandir et très certainement nous en avons encore besoin pour avancer dans la vie. Les attentions sincères et positives manifestées à notre égard, n'ayons pas peur de le dire, nous font tellement de bien. Même si nous ne nous en rendons plus compte parfois. C'est peut-être pour cela que les réseaux sociaux tels que Facebook et autres ont eu autant de succès. On se donne à voir !

On est certainement à la recherche de notre besoin fondamental , celui de se sentir aimé, apprécié. Cet amour passe aussi par le regard positif, par la petite attention positive, aussi petite soit-elle. Sommes-nous peut-être sans cesse à la recherche de ce désir d'être considéré ?  Nous essayons peut-être de combler un vide originel ? Le regard de l'Autre (Dieu) perdu dans notre relation spirituelle contaminée par le péché (rupture de relation avec l'Essentiel).

Cependant, l'idéologie de "l'image de soi" se décline soit par un renforcement de notre estime, soit par un manque de confiance en soi. Cela va même parfois plus loin. Pour certaines personnes, cela peut se manifester par un orgueil démesuré pendant que pour d'autres cela se manifeste par une santé physique et/ou psychique très fragile. 

Jacques Michelet  écrit : "Notre corps éprouve le regard, il est pris par celui-ci suivant des modalités infiniment variées. La clinique du regard révèle les souffrances du comment je me vois, comment je me regarde, comment l'autre me regarde, mais aussi celle du donner à voir comme celle de la soustraction au regard, anorexie, boulimie, phobie, scarification, et aussi bien tatouages, expérience du corps à l'aide de substances, ou encore addiction. C'est plutôt l'attention de ce qui vous regarde qu'il s'agit d'obtenir. Ce regard qui me manque et que je désire". 

Des pathologies de l'âme exprimées par le corps qui  sont malheureusement bien plus souvent critiquées et condamnées par une moralisation de tout bord, plutôt qu'accueillies par un "samaritain" sensible à la souffrance d'autrui. Nos valeurs doivent permettre la différenciation de soi, d'habiter le monde à notre manière, cela est nécessaire à notre existence personnelle en tant que croyant, certes, mais elles ne peuvent servir à nous diviser de l'humanité. Se séparer pour se différencier oui, mais non pour diviser et catégoriser... voilà un principe éthique important que nous enseigne l'attitude du Christ, dans la manière dont il est venu habiter le monde. (J'y reviendrai certainement dans un autre article).

Quand un être fait l'expérience spirituelle de la présence de Dieu dans sa vie, il sait que le regard de Dieu est fondamental pour son équilibre. Il sait également que ce désir de retrouver ce regard originel perdu est avant tout celui que l'humanité à perdu lorsqu'elle s'est séparée du regard de son créateur à son attention. C'est ainsi que le psalmiste, par exemple, s'écrie : 2 Regarde-moi et aie pitié de moi, car je suis abandonné et malheureux." 

Si nous réfléchissons à ce qui se passe sur les réseaux sociaux, ne pouvons-nous pas dire avec une certaine lucidité et honnêteté  "qu'être visible, c'est être choisi et qu'être choisi, c'est être regardé."3  Cependant, comme démontré plus haut, si cela peut contribuer à un sentiment positif chez certains, cela peut nuire à la vie psychique chez d'autres. C'est ainsi que Jacques Michelet relève les conséquences positives ou négatives de ces expériences ainsi qu'un questionnement sur l'impact du regard sur nos corps. Il écrit : " Comme le dit le psychanalyste Jacques Lacan : C'est par le regard que j'entre dans la lumière et c'est du regard que j'en reçois l'effet".  Cette expérience est celle de la rencontre heureuse ou malencontreuse qui établit la façon dont je l'éprouverai. Il s'agira alors de situer les conséquences de cette rencontre heureuse ou malencontreuse : enthousiasme, joie, amour, beauté, privilège, triomphe, adoration, exaltation, célébration, succès, lumière, etc., se déclinent du côté de la jouissance d'être regardé par un Autre qui vous aime et vous admire, et, à l'inverse, tristesse, malheur, désillusion, honte, déchet, mépris, ravage, haine, exclusion, etc., parlent des affects liés à la mauvaise rencontre avec le regard de l'Autre (des autres). Nous les déclinerons dans les registres du corps. Comment le corps est-il affecté par ce regard des autre ou de l'Autre ? Cela touche-t-il son image ? Et comment ? Cela atteint-il le corps en tant qu'il est parlant ? Les maladies psychosomatiques sont-elles des écritures d'un regard sans paroles ? Les symptômes, ces manifestations du désordre psychique, sont-ils induits par le regard des autres, l'impact de sa percussion ? L'expérience de l'effroi, notamment est-elle prise dans cette fixation au regard comme objet qui m'annihile ? Comment le corps réagit-il à cette présence du regard ?

L'impact du regard sur la vie des autres et celui des autres sur nous-même n'est, ni sans effet, ni sans importance. En tant que travailleurs sociaux, tout comme en tant que le prochain d'autrui, nous devons prendre conscience de l'effet que porte notre regard sur tout autrui.

Savez-vous pourquoi le livre de la Genèse met, entre autre, dans son introduction, ce point d'honneur à remonter notre humanité à un être unique ? Pour que personne ne puisse dire : mon ancêtre a précédé le tien. C'est pour nous rappeler que le monothéisme biblique exclut radicalement tout racisme, tout rejet de l'autre en tant qu'individu. Adam : un seul et même ancêtre (ou type d'ancêtre, selon les interprétations) tout en haut de la chaine signifie qu'il n'y a qu'une seule race d'homme, une seule espèce d'homme, une unité du genre humain. Si la Bible pose les fondements de l'homme sur ce fait, c'est aussi pour rappeler que l'Homme est une espèce unique dans toute la création tout en étant chacun singulier. Ce qui nous amène à comprendre et à saisir que " dire que l'homme est unique, c'est aussi définir, d'une manière grandiose, sa place dans l'univers, son rôle et sa responsabilité".4 

Poser son regard sur autrui, c'est poser un regard sur soi, sur soi en tant qu'humain, personne de même valeur, d'origine égalitaire, digne d'être aimé et accueilli en tant que créature issue d'une unité d'origine. Nous avons une responsabilité partagée, c'est prendre soin de soi, c'est à dire ici de l'humanité en soi, et cela se réalise en prenant soin du regard que l'on pose sur les autres. En posant un regard favorable sur autrui, nous influons sur la façon dont nous prenons soin de la souffrance humaine. Ce qui veut dire, prendre soin de notre propre souffrance également !

Je pense que l’éthique Biblique peut être-là pour rappeler à nos institutions citoyennes et communautaires un essentiel : le rapport humain influe la souffrance. Certes, nous avons nos limites, mais nous avons aussi nos capacités, non pas à réparer ou à effacer la souffrance du monde dans son entièreté, mais au minimum, à tenter de la rendre un peu moins pénible pour la supporter ensemble. Une façon pour moi de placer un premier contour de l'éthique du soin.

Pour conclure, je nous laisse en méditation les deux passages bibliques suivant pour nourrir notre désir de ne pas dévier de la volonté de porter une attention bonne pour la vie d'autrui en vue de son salut qui commence ici sur terre !

"Ne jugez pas afin de ne pas être jugés, car on vous jugera de la même manière que vous aurez jugé et on utilisera pour vous la mesure dont vous vous serez servis. Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l'œil de ton frère et ne remarques-tu pas la poutre qui est dans ton œil ? Ou comment peux-tu dire à ton frère : ‘Laisse-moi enlever la paille de ton œil', alors que toi, tu as une poutre dans le tien ?  Hypocrite, enlève d'abord la poutre de ton œil, et alors tu verras clair pour retirer la paille de l'œil de ton frère."

Matthieu 7.1-5

"Nous vous y invitons, frères et sœurs: avertissez ceux qui vivent dans le désordre, réconfortez ceux qui sont abattus, soutenez les faibles, faites preuve de patience envers tous."                                                                                                     1Thessaloniciens 5.14

 

Ecrit finalisé le O7 novembre 2021

1. Selma Fraiberg (1918-1981) était une pédopsychiatre, auteur et assistante sociale américaine. Elle a étudié les nourrissons atteints de cécité congénitale dans les années 1970.

2. Psaume 25.16

3. Jacques Michelet, psychologue et psychothérapeute. Dans son ouvrage "Prendre soin de soi et de l'autre en soi".

4. Josy Eisenbergh (1933-2017) dans A Bible ouverte, présence du Judaïsme chez Albin Michel.  Il fut rabbin, auteur, producteur et réalisateur de télévision français, d'origine polonaise et hassidique.

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