Aux héritiers de l'amour

Invariablement, je me sentais tout petit devant ces deux sachants, qui par magie, avec leurs mots, nous donnaient l'illusion d'une intelligence accessible uniquement à ceux qui avaient hérité d’un crâne au trésor rempli de neurones du savoir. L’illusion était si puissante, que nos yeux d’enfants n’y voyaient plus deux compagnons de classe, mais juste deux mémoires humaines que l’on habillait de peaux d'êtres. Il est vrai que leur coffre à mémoire était bien plus performant que le mien et de celui de la plupart de mes camarades. Pouvait-il en être autrement ? Regarde, lui, comme il est intelligent, disait-on ? Et celui-là, il a les gènes de son père. Oubliant même que c'était sa mère qui l’exerçait devant ses cahiers d'école.

Effectivement, le silence imposé devant ces deux corps parlants, n'avait pas pour idée de faire place au possible développement de notre propre capacité chacun, mais à laisser toute la place à ce tour de passe-passe, ce tour de magie professoral, ce leurre que nous admirions comme de l’émerveillement. Voici qu’apparaissait devant nous l'intelligence performante destinée aux héritiers des neurones du savoir. Ils étaient devenus une attraction d’objets inspirés plutôt que de sujets inspirants.

Combien d'enfants aux sentiments appauvris par cette croyance macabre ont hérité de cette idée transmise par des parents à qui on leur avait privé de leur propre don. À force de les écouter, de les entendre, là où le maître d'école ne faisait aucune différence, ma pauvre intelligence de déshérité en fit une. Ces deux sachants que l'on avait continué d'écouter dans les rassemblements du village m'apparurent très différents. Était-ce mon regard qui avait changé ? Où était-ce l’absence du magicien qui, manipulant ces jeunes êtres comme des accessoires de spectacle, me permettait de voir au-delà de l’illusion ?

Dans cette nouvelle réalité, l'un avait un savoir et l'autre une connaissance. Le premier pouvait expliquer des tas de logiques, des concepts aux données scientifiques et littéraires, il était capable d'expliquer toutes les dernières découvertes, mais il ne savait rien en faire pour autrui. Que du contraire, ce n’était plus moi qui me sentais éloigné de lui, mais comme il avait réduit la vie à son savoir, c’est lui qui s’éloignait de ses semblables. Il regardait la neige qui tombait ce jour-là, elle n’était pour lui plus que des paillettes de formules chimiques, alors que j’y voyais le sourire des enfants et la projection d’un nouveau manteau blanc. Mon savoir se promenait dans ma poésie d’enfant déshérité.

Le second avait la capacité d'expliquer ce que la connaissance pouvait apporter à l'endurance que demande la vie aux êtres humains que nous sommes. Il me donnait l'impression que plus il aimait le monde, plus il aimait les êtres, plus il désirait aimer. Et plus il désirait aimer, plus il désirait savoir. Si le premier désirait que les hommes entrent en relation avec le savoir des connaissances, le second désirait que son savoir lui permette de réussir dans sa relation à autrui.

Je compris qu’il y avait la connaissance des connaissances, celle qui nous donne une certaine manière de vivre et d'être ouvert aux autres. Sans aucun tour de magie, je compris qu'il y avait une connaissance qui ne s'apprend pas, qui ne s'enseigne pas, qui ne se démontre pas par les mots, ni par la rapidité d’exécution, mais qui se relate durablement dans les rapports humains. Cette connaissance s'appelle l'amour ! C'est celle qui sans détour va tout droit au cœur des êtres et qui les rend capable de se regarder, de s'accueillir, et de vivre en face à face.

Dès lors, je concluais qu’être intelligent s’était rechercher la véritable connaissance qui au fond n’est peut-être pas l'amour de la sagesse, mais plutôt la sagesse de l'amour. Accessible à tout le monde, à tous ceux qui veulent s’y engager, je pouvais donc enfin devenir intelligent. Depuis, je ne cesse d’inviter les autres déshérités des neurones à se vider de cette pensée vide de sens pour laisser place à l'intelligence du cœur qui bien souvent est déjà connu sans le savoir.

Après avoir écrit cette pensée réflexive et poétique, je fus ébahi de relire les dire de l'apôtre Paul que j'adapte à ma pensée pour les faire miennes ici : « Si je parlais magnifiquement bien les langues des hommes, et même si je pouvais parler la langue des anges et qu'il me manque l’amour, je serais comme un instrument de cuivre mal accordé, non harmonisé, retentissant bruyamment comme peut le faire une cymbale. Si j'avais le don de prophétie, et si même je pouvais sonder tous les mystères de la vie, du monde, et même de Dieu, si j'avais toute la connaissance et même toute la foi jusqu'à transporter les montagnes, et qu'il me manque l'amour, je n'ai rien. Si même j’offrais tout ce que je possède, jusqu’à livrer mon corps pour qu'il soit brûlé, usé, épuisé, fatigué, mais qu'il me manque l'amour, cela n'apporterait rien, ni aux autres, ni à moi-même, ni à la connaissance de Dieu. »

Aujourd’hui, devant la fenêtre, je regarde tomber la neige et j’y vois des flocons de savoir qui forme un manteau de connaissance recouvrant la terre d’un nouvel habit. La véritable connaissance habille la terre de cet amour blanc aux couleurs de la vie, sans que cela ne soit une illusion. Cela ne donne pas l’illusion d’être intelligent, qu’importe, j’en suis même content, car l’amour reste mon héritage, c’est l'entendement du déshérité que je suis.

dimanche 03 décembre 2023 / Tonino D'Arcangelo

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